Rompre le cycle : Comment le changement de comportement social lutte contre le mariage forcé en République démocratique du Congo

FSN Network
7 min readJan 26, 2024

Par : Luther Kumbusho, Chargé de programme, et Providence Kokontyo, Conseillère technique en matière de genre et de protection

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Lorsque les normes sociales disent oui, comment pouvons-nous dire non ?

Dans le Kasaï oriental (la province la plus petite et la plus densément peuplée de la République démocratique du Congo — RDC), les jeunes filles sont souvent contraintes à des mariages forcés. La faiblesse des infrastructures, la pauvreté généralisée, les systèmes patriarcaux traditionnels et les troubles récents ont créé un environnement de plus en plus difficile pour les jeunes filles.

Pour aborder la question des mariages forcés dans cette dynamique difficile, l’activité Budikadidi (“autosuffisance” en tshiluba) a utilisé des approches de changement de comportement social (SBC) et un ensemble d’interventions intégrées pour remettre en question les normes patriarcales et offrir des voies alternatives aux jeunes femmes.

Qu’est-ce que Budikadidi ?

Dans le Kasaï Oriental, de nombreux facteurs augmentent le risque de mariage forcé :

  • Instabilité économique : L’agriculture et l’exploitation minière sont les principales activités économiques et la pauvreté est particulièrement répandue dans les zones rurales où la production agricole est insuffisante, l’exploitation minière artisanale n’est pas rentable et le chômage est élevé.
  • Systèmes patriarcaux : Des croyances profondément enracinées favorisent la domination masculine, entraînant une discrimination importante, valorisant les garçons par rapport aux filles.
  • Troubles civils : Les activités récentes des milices armées ont provoqué des troubles et des déplacements internes dans la région, intensifiant la pression sur les services et systèmes gouvernementaux déjà fragiles.

Dans les zones rurales de la RDC, 43% des femmes mariées ont été forcées de se marier avant l’âge de 18 ans, et 6,1% avant l’âge de 15 ans. Étant donné que les mariages forcés sont soutenus par des dynamiques multiples et intersectionnelles, la résolution de ce problème nécessite un ensemble d’interventions à multiples facettes.

C’est pourquoi l’activité Budikadidi financée par l’USAID, mise en œuvre par Catholic Relief Services entre 2016 et 2023, a utilisé une approche SBC pour aborder la question sous de nombreux angles. Cela comprenait quatre piliers clés pour s’assurer que les jeunes soient soutenus dans la lutte contre le mariage forcé :

  1. Changement de comportement ;
  2. Renforcement économique ;
  3. Autonomisation des jeunes ; et
  4. Participation à la gouvernance et au développement communautaire.
Life skills training session for mentors shows a full room with a facilitator at the front
Formation en compétences de vie pour les mentors, Crédit photo : CRS

Changer les comportements, c’est d’abord changer les mentalités

L’équipe de Budikadidi s’est efforcée de remettre en question les mentalités par le biais d’une plateforme à laquelle les gens ont fréquemment accès : la radio. En partenariat avec des stations de radio locales, Budikadidi a produit plusieurs séries et programmes préenregistrés sur l’engagement communautaire des hommes, le dialogue parents-enfants, la valeur des filles, la masculinité positive chez les garçons et la notion de pouvoir dire “non” à la pression des pairs.

Les stations de radio locales des clubs de jeunes ont diffusé ces programmes, encourageant leurs membres à partager leurs expériences sur ces questions et à en discuter. Pour s’assurer que ces messages soient largement diffusés, ils ont également organisé des soirées éducatives sous la forme de grandes réunions de village au cours desquelles ils ont présenté des vidéos sur les mariages forcés, touchant ainsi environ 600 000 jeunes dans le Kasaï oriental. À partir de là, certains groupes ont même rassemblé des impressions communautaires pour produire de courtes vidéos et les publier en ligne sur YouTube afin de sensibiliser la population aux comportements appropriés pour prévenir les grossesses précoces et les mariages forcés.

Une voie différente : Promouvoir les opportunités économiques

L’instabilité économique est l’un des principaux facteurs qui poussent les jeunes filles à subir des mariages forcés. En encourageant les activités économiques pour les jeunes femmes, Budikadidi leur a permis de répondre à leurs besoins financiers et d’ainsi réduire les pressions pour qu’elles se marient.

À cette fin, l’équipe de Budikadidi a formé 271 clubs de jeunes locaux à la gestion d’entreprise et aux techniques de marketing. Les clubs ont développé de nombreuses opportunités économiques, telles que la production de briques, la facturation téléphonique et la vente de crédit, ainsi que la production de lait de soja. Ces clubs ont généré des ventes importantes, ouvrant de nouvelles portes aux jeunes impliqués. Par exemple, au cours des six derniers mois de l’activité Budakadidi (de décembre 2022 à mai 2023), quatre clubs très motivés ont réalisé des ventes combinées pour l’équivalent de 4 478 dollars.

Plus de 60 % de ces clubs ont réussi à diversifier leurs sources de revenus en créant plusieurs activités génératrices de revenus. Certains groupes ont créé des pharmacies ou des groupes de microfinance SILC (Savings and Internal Lending Communities). Grâce à ces revenus de groupe et au partage des bénéfices, les filles ont des possibilités viables de développement personnel en dehors du mariage.

A groupf of young men stand around as a video plays in the distance
Soirée éducative avec projection d’une vidéo sur les mariages forcés, Crédit Photo : CRS

Mentorat de jeunes pour le mentorat d’autres jeunes

Budikadidi a également formé des jeunes pour qu’ils acquièrent des compétences sociales et de vie. L’équipe du programme a formé de jeunes leaders à former d’autres jeunes dans le cadre de la lutte contre le mariage forcé et les grossesses précoces. Ils ont abordé des sujets tels que pouvoir dire non à la pression des pairs, les relations saines, la masculinité positive, la valeur de la petite fille et le dialogue parents-enfants. Tout au long du programme, plus de 12 700 jeunes filles et garçons ont été formés à ces compétences importantes pour la vie, avec l’aide de plus de trois mille mentors !

S’impliquer dans la vie associative et la gouvernance

Budikadidi a aidé des groupes de jeunes motivés à s’organiser en clubs de jeunes à travers tout le Kasaï oriental. Ces clubs offrent aux jeunes la possibilité de s’impliquer dans le plaidoyer et le leadership au sein de leur communauté. Les jeunes impliqués dans ces groupes ont été moins enclins à chercher du travail dans d’autres endroits et ont plutôt investi leurs compétences dans le développement local.

Mais ce n’est pas tout ; il y a également eu une forte mobilisation des jeunes filles et garçons dans la gouvernance locale du village (la Cellule d’Animation Communautaire, CAC). Grâce à cette approche, les jeunes ont été associés à la gouvernance de leur village, ce qui leur permet de se préparer à jouer un rôle de leader dans l’avenir. Cette participation professionnelle à la gouvernance locale et à la vie communautaire offre aux jeunes filles une alternative au mariage forcé.

Les chefs religieux et coutumiers sont des partenaires essentiels

Étant donné le rôle important que la religion et les traditions peuvent jouer dans le maintien d’un héritage de mariages forcés, le partenariat avec les chefs religieux et coutumiers était essentiel à la mission de Budikadidi. L’équipe du programme a impliqué plus de 400 chefs religieux et coutumiers, ainsi que des personnes influentes au sein des communautés, afin de changer les perceptions autour de la dot, d’encourager une masculinité positive et de promouvoir des lois condamnant les mariages forcés, ainsi que la violence fondée sur le genre.

Pour ce faire, l’équipe de Budikadidi a élaboré et distribué des guides de sermons aux chefs religieux afin de les aider à promouvoir des valeurs positives auprès des jeunes et de leurs parents. À leur tour, ces chefs ont mené des campagnes de prédication massives au sein de leurs églises, notamment en distribuant des copies de la loi interdisant le mariage forcé aux chefs coutumiers et aux communautés.

Les chefs religieux ont utilisé le guide de communication Budikadidi, des séries radiophoniques et des vidéos pour continuer à diffuser ces messages. Ils ont organisé les campagnes “Laissez les filles être des filles” et “Les livres avant les bébés”, afin de sensibiliser la communauté à la valeur de la petite fille et à la nécessité d’envoyer tous les enfants, filles et garçons, à l’école pour prévenir les mariages forcés. Dans les trois zones de santé du projet, les grossesses d’adolescentes (de moins de 20 ans) ont diminué de 11 % entre 2017 et 2022, selon le système DHIS2 de la Division provinciale de la santé.

A religious leaders sits with a woman and two small children outside
Chef religieux ayant reçu le guide de communication pour soutenir les communautés dans la lutte contre les mariages forcés, Crédit Photo : CRS

Qu’en est-il des jeunes déjà impliqués dans des mariages forcés ?

Enfin, l’équipe de Budikadidi a formé près de 500 animateurs communautaires à l’organisation et à la réalisation de campagnes de sensibilisation et d’actions visant à aider les jeunes déjà victimes de mariages forcés. Les jeunes des clubs Budikadidi, les dirigeants locaux et les représentants du gouvernement du village (les CAC) ont organisé des dizaines de campagnes de sensibilisation. Dans le cadre de ces efforts, l’équipe s’est efforcée d’identifier les personnes qui avaient été mariées de force, de faciliter le contact avec leurs familles et de les aider à poursuivre leurs efforts de renforcement de capacités. Grâce aux efforts de sensibilisation déployés par les clubs de jeunes, plus de 88 filles sont retournées à l’école.

Le pouvoir du changement de comportement social ?

Au cœur de la RDC, l’approche stratégique SBC du programme Budikadidi a permis de lutter contre les mariages forcés en remettant en cause des normes profondément enracinées. La collaboration avec les stations de radio locales et les chefs religieux et coutumiers s’est avérée inestimable pour faire évoluer les mentalités au sein de la communauté en ce qui concerne les mariages forcés. Parallèlement, l’enseignement de compétences financières et l’encouragement de la participation au sein des autorités locales ont offert aux jeunes femmes une alternative au mariage forcé. Le nombre de mariages forcés a considérablement diminué, comme l’indique la division provinciale chargée des questions de genre, passant de 136 cas en 2020 à 76 cas en 2021 et 33 cas en 2022. Bien qu’il reste encore du travail à faire, Budikadidi a mis en évidence le pouvoir dynamique de la SBC en RDC pour défier les problèmes sociaux enracinés afin de lutter contre les mariages forcés.

Ce blog a été soumis à l’Activité Genre et Jeunesse (GAYA) dans le cadre de la série “Nourrir l’inclusion”, conçue pour présenter des exemples d’acteurs de la mise en œuvre qui travaillent à l’amélioration de la sécurité alimentaire et de l’inclusion à travers le monde. Souhaiteriez-vous partager une histoire sur la façon dont votre équipe nourrit l’inclusion ? Envoyez-nous un email à gaya@savechildren.org.

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